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Yoga et traumatisme : quand le corps se souvient de ce que l’esprit oublie

Publié le 7 juillet 2025 à 17:02
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Beaucoup de personnes se tournent vers le yoga pour rechercher du bien-être, de la détente, un équilibre. Mais celles qui ont vécu des expériences traumatiques savent que “se détendre” n’est pas toujours facile, et que le corps peut être tout sauf un lieu sûr.
Et pourtant, c’est justement le corps qui peut devenir la clé de la guérison.

Le Dr Bessel van der Kolk, psychiatre et chercheur, explique avec clarté et compassion dans son livre Le corps n’oublie rien (The Body Keeps the Score) que le traumatisme ne vit pas seulement dans l’esprit, mais s’inscrit profondément dans la physiologie : dans les muscles, la respiration, les mouvements les plus involontaires.

Dans cet article, nous explorons comment et pourquoi le yoga peut devenir un outil fondamental dans la guérison des traumatismes — et pourquoi de plus en plus de thérapeutes, d’éducateurs et de pratiquants intègrent les neurosciences au tapis de yoga.

Le traumatisme est dans le corps, pas seulement dans l’esprit

Van der Kolk, à travers des décennies de recherche clinique, nous invite à repenser le traumatisme non pas comme un “événement passé” à oublier, mais comme une expérience encore active dans le présent, notamment au niveau corporel.

Selon lui, les personnes traumatisées ne ressentent pas leur corps comme un lieu sûr. Elles peuvent vivre une déconnexion, une dissociation, des tensions chroniques, une hypervigilance constante ou, au contraire, une sensation de paralysie. Cela est dû à un système nerveux qui reste bloqué en mode survie (attaque, fuite ou figement), parfois même des années après l’événement.

Le langage du cerveau rationnel, c’est la parole. Le langage du traumatisme, c’est la sensation.” — Bessel van der Kolk

C’est pourquoi les thérapies uniquement verbales ne suffisent souvent pas : le traumatisme doit aussi être abordé à travers le corps.

Pourquoi le yoga en particulier ?

Dans son livre, Van der Kolk consacre un chapitre entier au potentiel du yoga comme pratique somatique. Il ne s’agit pas du yoga en tant qu’exercice physique ou spiritualité new age, mais comme espace où l’on peut retrouver peu à peu le ressenti, en toute sécurité.

Voici pourquoi le yoga se révèle particulièrement bénéfique :

Régulation du système nerveux
La respiration consciente, le mouvement lent, la répétition des postures aident le système nerveux à sortir de l’état d’hyperactivation pour retrouver un état de calme et de régulation. C’est fondamental pour les personnes traumatisées, car cela leur apprend de nouveaux schémas de sécurité intérieure.

Reconnexion au corps
Beaucoup de personnes traumatisées se “coupent” de leurs sensations pour se protéger : elles ne sentent ni la faim, ni le plaisir, ni même la douleur.
Le yoga, grâce à des mouvements doux et une attention progressive aux sensations, permet de revenir à une présence corporelle sans être submergé.

Expérience du choix
Le traumatisme s’accompagne souvent d’une perte de contrôle.
Dans une pratique de yoga sensible au traumatisme, les élèves sont invités à choisir, explorer, dire non, adapter.
Cela redonne du pouvoir et de la dignité à l’expérience corporelle.

Sécurité relationnelle
Un·e enseignant·e conscient·e, qui respecte les limites, n’impose pas de corrections physiques, guide avec douceur : cela peut devenir un premier pas vers des relations plus saines et sécurisantes.

Le yoga dans la pratique clinique

Van der Kolk raconte comment il a intégré le yoga dans les traitements du Trauma Center de Boston, avec des résultats étonnants.
Beaucoup de patient·es souffrant de troubles post-traumatiques complexes (C-PTSD) ont montré des améliorations significatives dans leur capacité à :

  • mieux dormir
  • réguler leurs émotions
  • ressentir leur corps sans peur
  • renouer avec le plaisir

Le yoga s’est révélé plus efficace que les seules approches cognitives, car il agit directement sur les zones du cerveau déconnectées par le traumatisme : le thalamus, le système limbique, le cortex préfrontal.

Au bout d’un moment, j’ai recommencé à sentir mon corps. À me sentir vivante.” — Témoignage d’une patiente dans le livre

Le rôle du Yoga Trauma-Informed et Trauma-Sensitive

Tous les types de yoga ne conviennent pas à tout le monde. Une pratique trop intense, directive ou avec des manipulations physiques peut au contraire réactiver le traumatisme.

C’est pourquoi des approches spécifiques ont été développées, comme :

Trauma-Informed Yoga

  • Pratique adaptée aux vécus traumatiques
  • Langage non directif (“tu peux essayer…”, “si tu en as envie…”)
  • Aucun contact physique non consenti
  • Accent mis sur la sécurité et la régulation du souffle

Trauma-Sensitive Yoga (TCTSY)

  • Méthode développée au Trauma Center, validée scientifiquement
  • Le mouvement part de l’intérieur : pas d’imitation, seulement de l’exploration
  • L’enseignant·e ne corrige ni n’ajuste
  • Objectif : reconstruire la confiance en son corps et en sa capacité de choix

Ces deux approches reposent sur une idée clé : la guérison demande de la sécurité, de l’autonomie et du temps.

Il ne s’agit pas de “guérir du traumatisme”, mais de changer sa relation à soi

Le yoga ne fait pas disparaître le passé. Il ne “guérit” pas le traumatisme.
Mais il peut transformer notre manière de le vivre dans le présent.
Grâce à la pratique, on peut apprendre à :

  • reconnaître les signaux du corps
  • s’arrêter avant d’être submergé
  • soutenir les émotions avec le souffle
  • réécrire une nouvelle histoire sur soi

En conclusion : le corps peut redevenir un lieu sûr

Le corps n’oublie rien nous rappelle que nous ne pouvons pas penser le traumatisme uniquement avec la tête.
Il faut écouter le corps. Et lui offrir une voie de sortie sécurisante, douce, consciente.

Le yoga — pratiqué avec attention, respect et sensibilité — peut devenir cette voie.
Une porte vers la présence.
Une possibilité de recommencer, non pas malgré le corps, mais grâce au corps.

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